mardi 27 juillet 2010

Du sang plein les yeux (attention, les photos sont à la fin)

Confessions : J’ai déjà joué au baseball avec des grenouilles. J’ai aussi noyé des chenilles. J’ai pêché des étoiles de mer pour les faire sécher. J’ai déjà songé à attraper un papillon tropical pour le photographier. Voilà, mon père, le compte est bon. Puis-je aller en paix?

Non, je crois que je ne le puis pas. Quel fardeau incroyable que d’aimer les animaux à la folie mais d’être suffisamment lucide pour savoir que la terre entière ne se mettra pas à manger de la tourbe pour les beaux yeux des bébés phoques. Vendredi dernier, la (mal)chance a choisi de me lancer au cœur de la controverse animaliste, en faisant advenir deux évènements importants à quelques heures d’intervalle : mon arrivée aux Îles Féroé et un grind de chasse à la baleine, dans une des baies de Torshavn, la capitale. Ce matin-là, j’aurais très bien pu refuser de voir, juste ignorer l’événement et terminer mon café comme si de rien était. Mais quand on m’a annoncé que les chasseurs étaient partis après un troupeau quelques minutes plus tôt, c’était déjà trop tard. Impossible pour moi de savoir et de fermer les yeux. J’ai senti que je devais aller au bout de l’expérience parce que la seule chose que je pouvais faire par la suite, c’est d’en parler. Ça sonne un peu cucu comme ça, mais comme je n’avais l’intention ni de participer, ni de me garrocher sur eux en leur hurlant d’arrêter, je me suis dit que le mieux était de faire ce que je m’exerce à faire depuis le début de mon voyage, regarder et réfléchir et être cynique.

Notre hôte férogïen nous a gentiment déposées là où ça se passe, une baie sablonneuse entourée de collines. Pendant environ une heure, nous avons regardé les gens s’accumuler sur les lieux. Tout le monde, de toutes les générations pouvant y être y était sûrement. Quand ça arrive, le temps s’arrête sur les Îles. Ceux qui peuvent quitter leur travail pour une heure ou deux le font. Même pas besoin d’avertir le patron, si ça se trouve, il est lui-même déjà là-bas. J’étais terriblement nerveuse en arrivant. Je trouvais ces moments d’attente insupportables. Lentement, les chasseurs s’organisaient sur la plage, mettaient les cordages en place. Tout était très hiérarchisé, chaque personne a une tâche particulière et est tenue de la respecter. Au loin, on ne pouvait qu’apercevoir les bateaux de pêche formant une ligne, afin de rapprocher les bêtes de la côte. En faisant des recherches sur internet, j’ai trouvé ceci :

Observation of the Pilot Whales indicate that they work together in order to get the food that they want. Engaged in a type of high pitched whistle, they will create a circle that seems to mesmerize the prey and then they can consume it with ease.

En gros, c’est un peu ce que les chasseurs font, ils désorientent les baleines avec du bruit et les dirigent vers la berge avec leurs bateaux. Ainsi, tout ce que l’on voit jusqu’au dernier moment, c’est une ligne de bateau qui s’approche tranquillement. Au dernier moment, on aperçoit les globicéphales sautant comme les dauphins. C’est à ce moment que je me suis mise à pleurer encore plus, à gros sanglots, en voyant des baleines vivantes, prises au piège, déjà mortes. C’est le même désarroi quand je croise des camions d’animaux sur la 20, décuplé par le fait que je sais que c’est dans environ 30 secondes qu’elles vont se faire charcuter et que je suis là, à regarder.

30 secondes plus tard, les chasseurs courent à l’eau pour intercepter les baleines et leur trancher ce qui j’imagine doit être leur gorge. Dans la marée rouge qui se crée presque instantanément, les bêtes tombent au combat et une fois inertes, sont tirées de l’eau pour être identifiées, et ensuite être ramenée en bateau jusqu’au port. Chaque personne ayant participé à la chasse recevra, en fonction de son rôle, un morceau de sa baleine, préalablement numérotée.

Malgré avoir vu, photographié, revu en photo plusieurs fois et écrit la chose, ma gorge se serre encore et je revois par flash, le court instant où j’ai aperçu les baleines coincées devant les bateaux, quelques secondes avant qu’elles soient prises d’assaut par les chasseurs. Et malgré toutes les larmes que j’ai pu verser pour ces bêtes piégées, je souffre un peu plus de ne pas pouvoir me réfugier dans de l’émotion brute, et de ne pouvoir crier à l’injustice devant ce que j’ai vu. Parce que contrairement à plusieurs qui ont des opinions sur le sujet, MOI, j’ai vu. J’ai vu une mise à mort rapide et non complaisante. J’ai vu un travail organisé, structuré par des professionnels, soucieux de ne pas perdre de temps. Je ne saurai jamais si ces hommes, jeunes et vieux sont fiers et heureux de prendre ces énormes mammifères à bras-le-corps pour les saigner à mort. Mais à la limite, je m’en fous. Ce qui comptait pour moi, c’est de savoir/voir qu’en tuant des baleines, ils ne jouaient pas au même jeu que moi enfant, qui noyait des chenilles avec insouciance, pour le plaisir.

La chasse au globicéphale n’est pas une corrida marine, il n’y a pas de foule en délire et les chasseurs ne s’amusent pas à exciter les bêtes à coup de couteau. Contrairement à ce que les animalistes radicaux en disent, elle n’est pas non plus semblable à l’hypocrite chasse au dauphin de Taji (voir le film The Cove), parce qu’ici rien n’est caché (au contraire, c’est tout juste s’ils ne l’annoncent pas à la radio) et la viande de globicéphale est soigneusement distribuée dans les familles de chasseurs, avec une priorité aux aînées lorsque la ressource est rare.

Peut-être que je suis un peu naïve de voir ça comme ça. Chacun sa façon de survivre.

Dans l’absolu, j’aimerais que cette pratique cesse parce que j’aime les baleines comme j’aime tous les autres animaux. Elle cessera sûrement dans quelques années parce que comme pour les dauphins de Taji, la viande de globicéphale est de plus en plus toxique. J'imagine que le jour où ils ne chasseront plus la baleine, une forêt de plus sera défrichée et quelques vaches de plus partiront pour l'abattoir. La vérité, c'est que ce qui me préoccupe plus que des gens qui vont chercher leur alimentation à même la nature dans un spectaculaire bain de sang, c’est ceux qui, a chaque semaine, vont chercher à l’épicerie, des paquets bien emballés de viande anonyme qu’ils mangeront tranquillement devant le téléjournal, en s’insurgeant devant « ces barbares de chasseurs de phoques », sans se soucier de comment l’animal dont ils mastiquent énergiquement la chair, a mené sa vie, et encore moins de comment il a mené sa mort.

Voilà, c'est dit.






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